JUSTE UNE PHOTO, POUR NE PAS T’OUBLIER
Il était une fois, il parait que toutes les belles histoires commencent comme ça. Alors oui, il y a quelques années, j’aurais pu vous présenter mon histoire de cette façon, mais je crois qu’aujourd’hui, on ne peut plus vraiment parler d’une belle histoire. Ce matin, lorsque je me levais je vis comme à mon habitude une photo. Cette photo. Posée sur ma table de nuit, elle me rappelait que les années avaient passées et que pourtant, les deux personnes dessus me manquaient toujours autant. Machinalement je pris le cadre photo et le posa face contre ma table de nuit. Aujourd’hui, cela faisait exactement sept ans que Kenaï était parti. Sept ans qu’il m’avait lâchement abandonné, sept ans que je n’avais aucune nouvelle, et sept ans que je ne savais même pas si il était encore en vie. Je me doutais de la raison pour laquelle il avait quitté la ville. C’est vrai que ça ne devait pas être facile d’entendre à tous les coins de rue qu’il était responsable de la mort de sa sœur, de ma meilleure amie. Je n’arrivais pas à comprendre les personnes qui pensaient ça, il était vrai que Kenaï était loin d’être un ange, qu’il avait fait pas mal de conneries. Mais s’il y avait bien une personne qu’il protégeait plus que tout, c’était sa petite sœur. Alors pour moi, c’était tout simplement impossible de penser que ce soir là, il pouvait être sous l’emprise de l’alcool ou quoique ce soit d’autre. Et les gens qui pensaient cela, j’avais juste envie de leur dire qu’il ne connaissait pas Kenaï. Ou du moins, pas suffisamment bien, pas autant que moi en tout cas. Nous nous connaissions depuis toujours. J’avais rencontré sa petite sœur à la maternelle et depuis ce jour là, nous ne nous étions plus quittées toutes les deux. De vraies meilleures amies, la sœur que je n’avais jamais eue. Je l’avais toujours enviée d’avoir un grand frère, surtout aussi mignon que Kenaï. J’étais fille unique, et ce n’était pas faute d’avoir demandé à mes parents un petit frère ou une petite sœur. Ma relation avec lui était assez difficile à cerner. C’est vrai, il me plaisait énormément, j’étais jalouse quand il ramenait des filles chez lui, alors que j’étais là pour goûter avec sa petite sœur. Mais j’étais réaliste, je n’étais que « la meilleure amie de sa petite sœur », comme il le disait à son cousin.

Et puis il y a eu cette soirée. Cette soirée qui a tout changé pour moi, comme pour lui d’ailleurs. Je me souviens encore que pendant la journée qui précédait la soirée, j’avais du demander vingt mille fois à Aiyanna si Kenaï venait, si il venait accompagner ou non, si elle pensait que telle ou telle robe lui plairait. Quand j’y repense, je me demande si ces efforts, si on peut appeler ça comme ça en valaient vraiment la peine. C’est vrai, pendant les semaines qui ont suivis cette soirée et avant l’accident, tout était si parfait. Ce soir de la fête, nous nous étions embrassés. C’était comme un rêve qui devenait réalité. Quelque chose d’impossible, enfin à ma portée. Tout était si beau. J’étais heureuse. Vraiment heureuse. Jusqu’à l’accident. Je crois qu’au fond, même si il s’en est sorti, ce jour là, j’ai perdu ma meilleure amie et mon petit ami. Ma meilleure amie est décédée dans cet accident. Mon monde s’est écroulé, mais je me devais d’être là pour Kenaï. Il était encore plus mal que moi, ce qui était compréhensible. Et moi, je voulais simplement être là pour lui. De toute façon, il ne voulait voir personne d’autre. Il se sentait responsable, et même moi je n’arrivais pas à lui sortir cette idée de la tête. Il est devenu distant, ce que je comprenais dans un certain sens, puisque je devais lui rappeler sa sœur moi aussi, comme beaucoup de personnes en ville. Puis un jour il est parti. Sans rien dire. Je vous ait dit que mon monde s’était écroulé quand j’avais perdu ma meilleure amie ? Et bien là, j’avais eu l’impression de toucher le fond. Vraiment. Je restais enfermée dans ma chambre nuit et jour, à pleurer. Ma mère a même fini par m’envoyer chez un psychologue. Je n’en voyais pas l’intérêt, si ce n’est remuer le passé inutilement. Mais je n’avais pas le choix, alors j’y suis allée. Je ne vais pas dire que ça m’a aidé à oublier, mais plutôt à accepter ma peine, à accepter de vivre sans elle, et sans Kenaï. Vivre sans l’un était déjà difficile, alors vivre sans les deux, ça relevait du miracle. Et pourtant j’y ai survécu. Je me demande encore comment. La seule réponse que je trouve, c’est Nahuel, le cousin de Kenaï, qui était là, pendant ces dernières années, il était là pour moi. Parfois, quand il venait chez moi, et qu’il sonnait à la porte, j’espérais qu’il vienne me dire que Kenaï était de retour en ville, ou mieux encore, qu’ils venaient ensemble. Mais ce n’était jamais le cas. C’est beau de rêver n’est ce pas ?! Je me demandais encore pourquoi il était parti comme ça, sans rien me dire. Je l’aurais suivi s’il me l’avait demandé. Je n’aurais pas hésité une seule seconde à le suivre. Mais il ne m’avait rien demandé et était parti comme un sauvage. On dit souvent qu’on se rend compte de l’importance des gens à nos yeux quand on les perd. Au début, je ne croyais pas trop à cette phrase. Je pensais que les gens prenaient de l’importance à nos yeux au fur et à mesure qu’on apprenait à les connaitre. Alors qu’en réalité, on se rend compte à quel point on tient aux gens, à quel point ils nous tiennent en vie lors des coups durs, uniquement quand ces personnes là vous abandonnent. Et quand elles reviennent, on se demande si c’est pour nous ou juste comme ça, parce qu’il faut bien revenir un jour. Je détestais Kenaï, enfin, je détestais surtout le fait qu’il soit parti comme ça. J’avais mis du temps à l’accepter. Il voulait faire sa vie ailleurs, sans moi. Alors soit. La vie a continué, et continue toujours.